Le ministère des Arts et de la Culture demande aux centres culturels étrangers de soumettre leurs films à la Commission nationale de contrôle.
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Ama Tutu Muna. |
En février dernier, au cours d’une rencontre au ministère des Arts et de la Culture, le secrétaire général du Minac, Manaouda Malachie, a signifié au conseiller culturel de l’ambassade de France au Cameroun, en présence du directeur de la Cinématographie, que désormais, l’Institut français du Cameroun devra soumettre ses films à la Commission nationale de contrôle, dite commission de censure, en vue de l’obtention d’un visa d’exploitation. Cette mesure s’applique aussi à tous les centres culturels étrangers installés au Cameroun, à l’exemple de l’Institut Goethe. La semaine dernière, une demande verbale a d’ailleurs été formulée aux responsables de l’Institut Goethe dans ce sens.
Au Minac, un responsable ayant requis l’anonymat explique : « Il est question de faire cesser le deux poids deux mesures car il n’y a pas de raison que les nationaux soumettent leurs films à la commission et pas les étrangers. Nous voulons nous assurer que ce qui est diffusé dans ces centres n’est pas de nature à inciter à la révolte, à amener des troubles à l’ordre public ou à pervertir nos jeunes. Cette décision fait suite à des dérives observées, car ces centres profitent des relations diplomatiques pour faire passer toutes sortes de choses ». Le responsable du Minac fait ainsi référence au Festival international de films de droits de l’homme interdit le 11 avril 2011 pour « menaces à l’ordre public ». Financé par l’Union européenne, ce festival devait se tenir au Centre culturel français de Yaoundé (Institut français depuis janvier 2012). Dans sa programmation, il y avait des films comme « Révolution mode d’emploi », qui a fait peur aux autorités camerounaises au plus fort du printemps arabe et à la veille de l’élection présidentielle.
Étonnement
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L'entrée de L'Institut français de Yaoundé. |
Joël Lebret, le conseiller culturel de l’ambassade de France au Cameroun, soutient que « l’Institut français est très respectueux des lois de ce pays. Toutefois, nous nous étonnons que cette loi soit ainsi mise en avant aujourd’hui, 20 ans après avoir été promulguée ». Il ajoute que l’Ifc « renforcera son soutien à toutes les initiatives, qu’elles soient privées ou publiques, favorisant l’accès aux œuvres cinématographiques, mais aussi la formation professionnelle par les bourses ou/et des appuis aux écoles de cinéma. L’Institut français du Cameroun, comme le faisaient les deux centres culturels français à Douala et à Yaoundé, poursuivra dans ces deux villes son activité de promotion du cinéma en général, et du film africain et camerounais en particulier ».
Irene Bark, la directrice de l’Institut Goethe du Cameroun, s’étonne, elle aussi : « Après 50 ans de coopération culturelle, cette demande nous a surpris. Une coopération culturelle fructueuse entre les différents pays repose en grande partie sur la confiance mutuelle et le libre échange d’informations et de produits culturels, pédagogiques et scientifiques ». Elle ajoute que les accords de coopération culturelle, conclus en juin 1988 entre le Cameroun et d’Allemagne, prévoient explicitement des mesures de facilitation mutuelle et de promotion des activités culturelles. Ce qui, dans le but de la coopération culturelle, permet l’exploitation de films importés et garantit également « l’utilisation libre » de films pour la programmation culturelle.
Cette décision du Minac pose un problème: celui de son application dans les espaces culturels situés dans l'enceinte des représentations diplomatiques, à l'exemple des centres culturels espagnol et italien à Yaoundé.
Stéphanie Dongmo
Que prévoit la réglementation ?
La loi n°88/017 du 16 décembre 1988 fixe l’orientation de l’activité cinématographique au Cameroun. En son article 10, ce texte stipule : « Aucun film cinématographique, quels qu’en soient le genre et le format, ne peut être distribué au Cameroun en vue de sa représentation en séances publiques, à des fins commerciales, éducatives ou culturelles s’il n’a obtenu l’autorisation prévue à l’article 2 ci-dessus, sauf dérogation prévue par voie réglementaire ».
Selon cette loi, l’exploitation cinématographique est « l’acte par lequel une personne physique ou morale soit projette, soit fait projeter une œuvre cinématographique dans un lieu public ou ouvert au public, ou met cette œuvre à la disposition du public ». Et l’activité cinématographique « la production, la distribution ou l’exploitation de films cinématographiques par des personnes physiques ou morales, titulaires d’une autorisation préalable délivrée dans des conditions fixées par voie réglementaire ».
Le décret n°90/1462 du 9 novembre 1990 est venu fixer les modalités d’obtention des autorisations pour l’exercice de l’activité cinématographique. D'après ce décret, la production, la prise de vue, la distribution et l'exploitation des films est subordonnée à une autorisation préalable délivrée par le ministre en charge de la cinématographie. Le ministre décide de délivrer ou non une autorisation, après l'avis de la commission nationale de contrôle des films cinématographiques, prises de vues et enregistrements sonores (commission de censure).
S.D.
Centres culturels étrangers: Palliatifs à la fermeture des salles
Ils permettent au public d’avoir accès aux films du patrimoine camerounais, le ministère des Arts et de la Culture n'ayant pas de cinémathèque.
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Face à la fermeture des salles de cinéma, les cinéastes n'ont d'autres recours que les centres culturels étrangers. Ici, Frank Ndema présente son film R.I.P. |
Au Cameroun, l’activité cinématographique demeure soumise à un régime d’autorisation préalable, que fixe la loi n°88/017 du 16 décembre 1988. 24 ans après sa promulgation, cette loi semble aujourd’hui désuète. Elle fait référence aux salles de cinéma et à l’organisme chargé du développement de l’industrie cinématographique (en l’occurrence le Fonds de développement de l’industrie cinématographique), qui n’existent plus. De plus, sont hors du contrôle de la commission de censure les milliers de films piratés vendus dans nos rues, les films et séries diffusés sur les chaînes de télévision nationales et sur le câble, de même que les films disponibles sur internet.
Pour Joël Lebret, le conseiller culturel de l’ambassade de France au Cameroun, « à l’heure où chaque Camerounais peut, en ouvrant son ordinateur, télécharger n’importe quel film, la question pour nous est moins dans le contrôle des films diffusés que dans une politique volontariste favorisant à la fois le retour de salles de cinéma au Cameroun et surtout l’incitation du public à revenir dans les salles qui diffusent des films ».
Incontournables
Depuis la fermeture de la dernière salle de cinéma en janvier 2009, et face à l'indisponibilité du Centre culturel camerounais, les instituts Goethe et français sont devenus des espaces incontournables pour l’activité cinématographique camerounaise. Des avant-premières des films y sont organisées, de même que des projections dans le cadre des festivals de cinéma portés par des associations (Ecrans noirs, Mis me Binga, Yaoundé tout court, Images en live…) ou par des ambassades (Japon, Italie, Israël…) Les deux centres abritent chacun un ciné-club qui permet aux jeunes réalisateurs camerounais et étrangers d’être confrontés à la critique de leurs œuvres. L’Institut français dispose d’un fonds de 615 films, accessibles à ses abonnés. L’Ifc a aussi les droits sur un catalogue du cinéma français et international de l’Institut français de Paris constitué de 3500 titres, en plus des 1500 titres de la Médiathèque Afrique.
Le ministère des Arts et de la Culture ne disposant pas d’une cinémathèque ouverte au public, les Camerounais se sont naturellement tournés vers ces centres. Ils sont d’ailleurs les seuls espaces où le public peuvent avoir accès aux films du patrimoine cinématographique camerounais, à l’exemple de « Le grand Blanc de Lambaréné » de Bassek Ba Kobhio, « Quartier Mozart » de Jean-Pierre Bekolo ou encore « Muna Moto » de Dikongue Pipa.
Stéphanie Dongmo