vendredi 9 décembre 2011

Major Asse et Valéry Ndongo : « Nous n’avons pas peur de la concurrence »


Les deux humoristes font le bilan de leur carrière et parlent des prochains one-man-shows qu’ils donnent dans les centres culturels français les 9 et 10 décembre à Douala, et les 16 et 17 décembre à Yaoundé. 



Vous préparez la 5ème édition du Stand up night show. Que réservez-vous, cette fois-ci, à votre public ?
Major Asse : On a beaucoup travaillé pour cette édition qui est tout à fait spéciale parce qu’elle s’ouvre sur l’Afrique. C’était notre rêve quand on créait le Stand up night show. Aujourd’hui, on a cinq personnes qui viennent du Gabon, de la Guinée Equatoriale, du Burkina Faso, du Mali et de la Côte d’Ivoire pour participer à nos ateliers, se faire former par Major Asse et Valéry Ndongo.
Valéry Ndongo : Cette édition est aussi spéciale parce que nous allons faire une sorte de « best of » des éditions précédentes. Le public se plaint souvent de ce qu’il y a des sketches qu’il n’a vu qu’une seule fois. Nous sommes dans une dynamique de création mais nous pensons qu’il est important de s’arrêter un peu pour que les gens aient vraiment le temps de consommer ce qu’ils aiment. 

Combien de personnes y aura-t-il sur scène ?
VN : Il y aura six personnes. Major Asse et Valéry Ndongo comme d’habitude, parce que le Stand up est un projet conçu à la base autour de ces deux humoristes. La première partie va être assurée par quatre humoristes, dont deux Camerounais et deux Africains, sélectionnés parmi les participants à la formation. Pour cette édition, il n’y a pas eu un casting ouvert. On travaille avec des gens que nous avions déjà formés. Notre objectif est que d’ici trois ans, il n’y ait plus seulement Major Asse et Valérie Ndongo sur la scène, mais trois ou quatre noms. Parce qu’il faut du temps pour arriver sur la scène et y rester. 

Mais le monopole, c’est bien non ?
VN : Nous sommes dans un pays où il y a 20 millions d’habitants. Ce n’est pas intéressant si nous sommes seuls sur la scène, surtout que le Stand up night show est un projet à long terme. C’est un style nouveau, nous avons besoin de gens qui marchent avec nous pour que le projet grandisse. Nous n’avons pas peur de la concurrence, nous avons confiance en notre talent. Je pense aussi que le public a besoin de voir d’autres personnes talentueuses. Ca ne va pas nous mettre sur la touche, au contraire. 

Quels sont les thèmes que vous allez traiter ?
VN : Dans l’humour, les thèmes sont les mêmes : c’est toujours l’actualité, la société, la politique, les rapports hommes/femmes… Evidemment, on a des styles différents, bien qu’on traite des mêmes thèmes. 

Pour coller à l’actualité, allez-vous parler de l’élection présidentielle?
MA : Nous allons passer en revue toutes les scènes d’humour que nous avons pu observer durant la campagne, sans parti pris. Donc, que personne n’ait peur. On va simplement rire de tout ce qui nous a paru bizarre pendant l’élection. On a aussi été à l’Est où il y a l’exploitation minière et forestière pour chercher de la matière pour nos sketches. Nous ne venons pas avec des discours pleins de promesses ; nous ne sommes pas dans les grandes réalisations mais dans les grandes finitions.

Avez-vous voté?
VN : Pour moi, ce n’était pas une élection. L’élection a été biaisée en 2008 quand le Constitution a été modifiée. A partir de là, il n’y avait plus d’enjeu. Je pense qu’il y aura vraiment élection lorsqu’on ne va plus changer de Constitution du jour au lendemain. Ce n’est pas sérieux. Il y a des problèmes dont on a besoin que le gouvernement s’occupe : le statut des artistes, la piraterie, l’eau potable. Finalement, on ne demande pas le ciel au gouvernement. On paie les factures d’eau et on aimerait avoir cette eau-là effectivement, on aimerait avoir moins de délestages. 

Parlant de la situation des artistes, tout va bien pour vous maintenant, la liste de vos partenaires ne cesse de s’allonger…
MA : Ah non ! On ne peut pas dire que ça marche bien pour nous parce que ca marche bien avec des partenaires étrangers. On dira que ca marche très bien pour nous quand ça va marcher avec des partenaires locaux, avec le ministère de la Culture. Il nous a souvent nourris de promesses tandis que nous avons des partenaires qui agissent de très loin comme l’Institut français de Paris, quand le projet est intéressant. Notre fierté serait d’arriver en France ou en Guinée Equatoriale où nous étions récemment avec un billet d’avion acheté par le ministère de la Culture camerounais. Donc, pour le moment, ça ne marche absolument pas.
VN : C’est dommage que les projets qu’on met sur pied soient soutenus par les Français alors que Dieu seul sait combien, dans nos spectacles, nous critiquons la politique de la France. Et quand il faut remercier des partenaires de manière officielle, je remercie la France. C’est douloureux. Au ministère de la Culture, on a déposé plusieurs dossiers à la suite desquels on a eu des promesses d’argent. On en a un peu marre, des promesses. Maintenant, on ne demande plus rien. Heureusement, notre projet a connu du succès grâce au public camerounais qui paie pour assister à nos spectacles. Et c’est grâce à cet argent que le Stand up va rester debout, avec ou sans les sponsors. 

L’entrée à vos spectacles est fixée à 5.125 Fcfa à Yaoundé et 10.125Fcfa à Douala. Pourquoi tenez-vous tant à 125 francs ?
MA : c’est un mythe que nous avons forgé. On est bien content de voir des gens nous soupçonner d’être des sorciers ou des marabouts, c’est l’effet que nous recherchions. Maintenant que l’effet est là, on voudrait le faire durer le plus longtemps possible.

Au cours de vos carrières respectives, vous êtes passés des thèmes tels l’esclavage et le racisme pour arriver aux histoires du quartier, qui vous ont donné du succès. Est-ce à dire que le public n’est sensible qu’à ce genre ?
VN : La première chose à faire est de conquérir son public. Nous faisons des spectacles au gré des inspirations. Et lorsqu’on fait un spectacle avec un thème qui marche comme « Ma Copine » de Major, on le creuse plus.
MA : Il faut mettre tout sur le dos de la promo qu’on avait fait à l’époque. Je suis sûr que si « Je suis noir et je n’aime pas le manioc » était passé à la télévision, les gens y auraient prêté une oreille attentive. Tous les thèmes sont importants. La recherche des blancs sur internet ou les pasteurs qui pullulent, pour nous, ce ne sont pas de petits thèmes, ce sont des problèmes qu’on retrouve dans tous les pays d’Afrique. Nous recherchons des thèmes qui peuvent passer partout.
VN : On utilise un langage qui parle à l’être humain car, pour nous, c’est important de jouer de la même manière au Cameroun et à l’étranger. Il n’y a pas de sous-thème, il y a simplement des sketches qui marchent mieux que d’autres. Il y a aussi des sketches qui, par la force des médias, passent mieux que d’autres. Maintenant, c’est à nous de remettre au goût du jour les sketches que nous avons fait il y a six ou sept ans. 

Qu’est-ce qui fait le succès du Stand up night show?
VN : Avant de mettre sur pied le projet, nous avons pris le temps de le mûrir, d’apprêter des armes et les munitions. On s’est préparé pour aller loin. Je crois que le public a très bien compris le concept puisqu’il est toujours à l’affût de chaque date.
MA : On ne peut pas dire que nos premiers spectacles ont eu du succès. Il y a eu des fois où, après avoir joué, tu pleures en te disant : « je suis passé à côté de l’affaire ». Mais après, tu te remets à l’apprentissage. Même aujourd’hui que les gens ont l’impression que nous sommes au top, on apprend toujours. 

Le Stand up reste encore cantonné à Douala et à Yaoundé. Est-ce que les autres régions ne vous intéressent pas ?
VN : Si. Mais c’est une question de moyens. En juin dernier, on a voulu organiser le Kamer stand up tour mais on n’a pas pu le faire, faute d’avoir trouvé des partenaires pour le financer. Il y a quelques semaines, nous sommes allés à l’Est. On a joué à Bertoua et à Bétaré Oya. Cela été une expérience super intéressante pour nous.
MA : Le public était au rendez-vous. On a une réputation qu’on n’imaginait pas là bas. Les gars sont venus et ont payé l’entrée, parfois en revenant des champs. On va se remettre à la recherche des partenaires. 

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous mettre ensemble ?
VN : C’est le destin, si ça existe. La rencontre entre Major et moi a été un hasard. Je suis entré à la Ronde des poètes en 2000. J’ai commencé à aller au lycée de Nkolbisson à Yaoundé où Jean-Claude Awono [président de la Ronde des poètes] est professeur, j’y ai fais la connaissance de Major qui était en classe de 2nde. De tous les gars que je voyais déclamer des poèmes, il était le plus doué et avait envie de bosser. Je l’ai énormément encouragé à faire du théâtre. Après, il a voulu faire des sketches et a adapté le texte de Gaston Kelman [Je suis noir et je n’aime pas le manioc, ndlr]. Après cela, on a voulu monter un projet et bosser ensemble pour aller loin.
MA : A l’époque, j’étais le président du club Ronde des poètes du lycée de Nkolbisson. Valéry venait souvent comme un aîné pour adouber ce qu’on faisait. Et naturellement, on s’est mis ensemble. Aujourd’hui je n’ai plus de mère. Mais la maman de Valérie, c’est ma mère. Elle me parle comme à son fils. Et chaque fois que Valéry et moi avons eu des malentendus, on s’est tous les deux ressaisit et on est revenu à la raison.

Et d’où vient le besoin de créer l’association Africa stand up ?
MA : Valéry ayant un pas d’avance dans le monde professionnel de l’humour, il a suggéré cette idée un jour. J’ai trouvé ça formidable. Il fait presque tout, il a toujours assuré le côté administratif. Alors, quand il m’a dit : « tu es directeur artistique », j’ai répliqué : « toi tu es président ». On s’assure toujours que c’est l’intérêt commun qui passe en avant et je crois qu’à la longue, nous sommes devenus un modèle pour bien de jeunes Camerounais. 

Aujourd’hui, vous avez la même barbiche…
VN : C’est un gros hasard. J’ai fais ma chose dans mon coin et quand je reviens à Yaoundé, je trouve que le connard a fait la même chose.
MA: Ah ah ah ah ! Je me suis rendu compte que même au niveau vestimentaire, on s’habille souvent de la même façon, sans qu’on se soit concertés. 

Valéry, qui a écrit votre sketch « Je suis acteur, pas comédien »?
VN : C’est moi qui écris tout ce que je joue. Ce sketch, c’est vraiment mon histoire personnelle qui m’a amené au théâtre. Entre 90 et 96, j’ai écumé tous les ciné-clubs de Mvog-Mbi, Ekounou et Ntaba et cela m’a donné un regard critique sur le cinéma. C’est le premier spectacle qui m’a valu un succès en France, je vais le rejouer au Cameroun mais pas maintenant.

Certains affirment que ce sketch a été écrit par Essindi Mindja, auprès de qui vous avez d’ailleurs fait vos armes…
VN : Essindi a un sketch de 5 minutes où il parle du chef bandit et de l’acteur. Cela n’a rien à voir avec « Je suis acteur, pas comédien » qui dure une demi heure. 


Quel avenir pour l’humour au Cameroun?
VN : Les médias sont très bien placés pour répondre à cette question, au vu de l’évolution du style que nous faisons et de l’ampleur que le one-man-show a aujourd’hui. En ce qui nous concerne, on ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Quels sont les humoristes qui vous ont marqué ?
MA : D’abord Essindi Mindja. Quand Valéry m’a amené le rencontrer, j’étais très content. Il y a aussi Dieudonné Mballa Mballa, Coluche, Jamel Debouzze. Kouokam Nar6 m’a aussi beaucoup influencé mais son humour est resté très régionaliste.
VN : Je dirai Essindi Mindja parce que c’est le premier humoriste que j’ai eu la chance de fréquenter de 1999 jusqu’à son décès en 2005. Contrairement à ce que les gens pensent, on a très peu travaillé ensemble. C’était plus un grand-frère pour moi qu’un coach. Il m’a beaucoup parlé de gestion de carrière, de ce qu’il n’a pu faire et de ce qu’il aurait aimé faire. Nous avons travaillé ensemble trois fois. La première fois autour du spectacle d’1h30 « L’argent de ma fille », où il m’a donné un rôle de moins de deux minutes. C’était la première fois que je montais sur scène, en mars 2000 au Ccf de Douala. La deuxième fois, on a eu une séance de travail autour du recueil « Les destinées ». Il m’a fait déclamer un poème en me montrant un découpage technique du texte. La troisième fois, c’était autour de la pièce « La guerre du fer ». On n’a jamais travaillé sketch, humour. Quand je lui ai montré un spectacle que j’ai monté en 2003, il m’a juste dit : « Petit, si tu veux aller loin, le plus dur c’est de trouver ton style à toi ».
En plus d’Esssindi, il y a eu Dave K. Moktoï et Dieudonné Mballa. Plus cynique que lui dans l’humour, il n’y a pas. Je respecte son engagement. 

Vous aussi, vous avez un engagement…
VN : Oui. C’est déjà un très gros chantier que de créer l’émulation autour d’un style, de former d’autres jeunes, de les amener à avoir une visibilité sur le plan national et international, de parler des thèmes sensibles. Parce que si c’est vrai qu’il y a la démocratie et la liberté d’expression au Cameroun, alors on peut parler de la corruption, de l’opération Epervier, sans tomber dans l’insulte et la calomnie. Mais on ne parle pas de tout au Cameroun. Ou alors, tu peux parler de l’entourage du boss, mais jamais du boss. Si tu parles du boss, tu es mort en guerre. 

S’il vous arrivait de rencontrer le boss, que lui diriez-vous ?
VN : Je vais lui dire d’arrêter de faire des dons aux artistes qui ne sont pas des mendiants. C’est bien de créer un fonds spécial, mais ça reste une forme d’infantilisation de l’artiste. On ne veut pas les dons mais des financements sérieux. On veut une reconnaissance du statut des artistes. 

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

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